Internet regorge de pages traitant du Rhum, de son histoire, de son élaboration et de ses dérivés. Toutefois, il me parait opportun de reprendre quelques éléments introductifs aux produits que la cave de Bacchus commercialise.
Le rhum a longtemps été considéré comme un sous-produit de l’industrie sucrière. Cette mauvaise réputation se dissipera lentement au fur et à mesure de l’évolution des techniques d’élaboration, e.a. grâce à l’alambic à colonne au 19ème siècle. Mais ne brûlons pas les étapes et levons l’ancre, à la découverte de notre malle aux trésors.
Flibustiers, cap sur les Caraïbes !

 

Sommaire

La canne à sucre

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Le rhum est donc élaboré grâce à la canne à sucre, grande graminée (Poaceae) tropicale herbacée à port de roseau, d’une hauteur allant de 2,5 à 6 mètres. Les tiges, d’un diamètre de 1,5 à 6 cm, sont pleines. Elle est actuellement cultivée dans toutes les régions tropicales et subtropicales du monde, de part et d’autre de l’équateur, dans une zone délimitée approximativement par les parallèles 35° Nord et 35° Sud.

 

 

La canne à sucre était jusqu’au début du 20ème siècle la seule source importante de sucre et représente encore, au 21ème siècle, 70 à 80 % de la production mondiale de sucre.
Le parcours de la canne à sucre débute en Asie. Les premiers plants sauvages de saccharum officinarum (espèce domestiquée la plus répandue) ont été en effet retrouvés en Nouvelle-Guinée.
On estime que l’on a commencé à cultiver sa première souche entre 1500 et 1000 ans avant JC. Les Hommes la consommaient de la façon la plus simple, en mâchant ses tiges pour en extraire le jus sucré.
La première mention écrite de la canne à sucre relatée historiquement, est fournie par Néarque (325 av. JC), un général d’Alexandre le Grand, qui décrit, dans son récit d’un voyage entre l’Indus et l’Euphrate, “un roseau indien qui donne du miel sans l’aide des abeilles, à partir duquel on élabore une boisson enivrante (…) ».
Il aura fallu des siècles, au rythme des conquêtes territoriales, pour que la domestication de la canne à sucre fasse son chemin de l’Asie aux Caraïbes en passant par l’Inde, le bassin méditerranéen, l’Europe occidentale…

 

 

L’expansion de la civilisation musulmane a joué un rôle essentiel dans l’exploitation et la diffusion de la canne à sucre.
Les arabes la découvrent en Perse et la propagent sur le pourtour méditerranéen jusqu’aux îles de l’atlantique.
La culture à grande échelle et la fabrication de sucre ont commencé à partir de 637, d’abord dans le croissant fertile de Mésopotamie (Irak, Syrie, Liban, Israël et Egypte), puis en Afrique du Nord et en Andalousie. C’est ce qu’on appelle « la filière arabe ». La culture de la canne à sucre est rémunératrice. Le sucre, considéré comme une épice, se vend fort cher en Europe du Nord. Les savants arabes, en avance sur leurs contemporains, sont les premiers à découvrir les vertus du sirop de sucre pour conserver les qualités des herbes médicinales. Les croisades et la « filière chrétienne », plus tardive (12-13ème siècle), contribuent à son expansion en occident. Au 14ème siècle, la canne à sucre a atteint les limites extrêmes du monde occidental, étant exploitée à Madère et dans les îles Canaries.
C’est en 1493, lors de son second voyage que Christophe Colomb introduit des plants de canne à sucre à Saint-Domingue (actuellement Haïti). Dans ce « nouveau monde », le Saccharum Officinarum devient la Canne créole (Caña Criolla). Les espagnols, les portugais puis les français contribuent à son expansion. De là au début du 16ème siècle, s’étendent les plantations de canne et la production de sucre aux Antilles et en Amérique (Porto Rico, Mexique, Brésil, Pérou, ..). Les portugais s’emparent du Brésil tandis que les espagnols dissipent cet or végétal dans les Caraïbes.
Très vite, cette matière première suscite la convoitise des pays colonisateurs. Au Brésil, les hollandais et portugais se chamaillent avant d’être chassés du pays et de se répandre dans les Antilles. En 1625, bien que le Brésil reste leader de la production, les premières expéditions de sucre au départ de la Martinique et de la Guadeloupe vers le « vieux continent » s’organisent. C’est au 17ème siècle, lors de ces échanges avec l’Europe que l’eau-de-vie, ce produit de distillation qui rend fou, est introduite dans le « nouveau monde ».
Tandis que la culture de la canne à sucre au Moyen Orient, en Méditerranée et en Amérique est de souche indienne (Canne Créole), dans le reste du monde c’est une autre variété de canne (Saccharum Violaceum) qui va occuper le paysage agricole. Introduite par Bougainville à l’Ile Maurice et à La Réunion fin du 18ème siècle, elle prend le nom de canne Bourbon. C’est en effet lors d’un périple autour du monde entre 1766 et 1769 que cet explorateur marin découvre cette variété de canne à l’état sauvage en Polynésie. De cette découverte naîtra sa propagation jusqu’aux Antilles, en Guyane, vers les colonies anglaises, la Louisiane et le Brésil.

 

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Des centaines de variétés de canne à sucre co-existent actuellement, issues du travail d’hybridation, de croisements, de recherches en laboratoires, avec pour objectifs de les rendre plus résistantes (maladies/intempéries), plus productives et plus riches en sucre.
Comme pour les cépages de raisins, les résultats de ces croisements portent des noms savants, des références alpha-numériques ou numéros de série comme B69-566 ou R.579. Et ce n’est que sur le plan local, où elles sont cultivées, qu’elles adoptent un surnom plus intimiste comme respectivement, la Canne bleue (cultivé aux Antilles françaises, créée à la Barbade) ou la Canne rouge qui provient de la Réunion.

 

http://virgdolph.eklablog.fr/

 

Kill-Devil

 

Malgré le développement de l’industrie agro-alimentaire, la concurrence de la betterave sucrière (depuis le début du 19ème siècle), la canne à sucre reste une des plantes la plus cultivée mondialement pour la production de sucre (142 millions de tonnes /an), de rhum et de biocarburant.

Avant de vous conter le rhum tel que nous l’apprécions actuellement, il y a lieu de se replonger dans le contexte de l’époque. Contrairement au procédé de conception de la plupart des autres eaux-de-vie, le rhum a d’abord été un produit résiduel de l’industrie sucrière. Après plusieurs étapes d’extraction pour obtenir du sucre raffiné, il demeure un liquide, la mélasse, contenant encore un peu de sucre mais que les méthodes de l’époque ne parvenaient pas à extraire.
Cette mélasse, rapidement fermentée et distillée ne donnait pas une eau-de-vie de qualité…
Au 17ème siècle (1650), à la Barbade, ce distillat a été baptisé Kill-Devil (tue-diable), pour souligner l’aspect puissant et surtout nocif du breuvage. Ce Kill-Devil, généralisé dans les colonies anglaises, sera retranscrit plus tard en Guildive (en créole).
Dans les colonies françaises, l’origine du mot rum (apparut au 18ème siècle) pourrait provenir du raccourcit de Saccharum (voir plus haut) ou du terme rumbullion (« grand tumulte » – bouillon de canne à sucre).

 

 

En vertu de cette mauvaise qualité de l’époque, le rhum sera méprisé des colons et de l’aristocratie européenne, lui préférant les eaux-de-vie à base de vin ou de grains. Jusqu’à ce qu’il s’améliore et se modernise au 19ème siècle, ce mauvais rhum, chargé d’impuretés et distillé de façon rudimentaire, restera la boisson de la classe « pauvre », des marins, des flibustiers et des marchands d’esclaves.
Fin du 17ème siècle (1694), le père missionnaire Jean-Baptiste Labat utilise ses connaissances dans le domaine de la distillation pour améliorer le processus de production du rhum. Bien que l’objectif premier du père Labat est d’en faire un médicament (largement distribué, notamment pour soigner la fièvre), ce fait marquant contribuera à l’amélioration de la filière.
Au 19ème siècle, la concurrence dans le secteur de la production de sucre, l’abolition de l’esclavage (qui rend le processus bien plus coûteux) et la crise du phylloxéra (qui détruit les vignobles et rend impossible la production d’eau-de-vie à base de vin), sont autant de facteurs qui poussent et motivent les distilleries à perfectionner leur production de rhum. C’est dans la seconde moitié du 19ème siècle, que la qualité du rhum va acquérir ses lettres de noblesse grâce à la technologie des alambics à colonne et au choix de distiller le pur jus de canne au lieu de la mélasse.
Et c’est au 20ème siècle, avec la mode des cocktails/punchs et les techniques modernes, que les producteurs insuffleront à la filière la notoriété qualitative du rhum que nous apprécions désormais.

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Passé trouble (esclavage)

 

Le développement des plantations de canne à sucre (le bouturage, la coupe, le transport, etc..) requiert énormément de main d’oeuvre. De toutes les exactions commises lors de la traite négrière, l’esclavage perpétré à la mise en oeuvre de la culture de la canne à sucre et de la production de rhum tient malheureusement une place très importante dans l’ensemble de l’exploitation des peuples dans la misère.
C’est dans ce contexte qu’apparaitra ce que les historiens nomment le « commerce triangulaire »:
les navires, battant pavillons hollandais/anglais/.. quittent l’Europe pour se rendre en Afrique, vont chercher et acheter des esclaves. Cap ensuite vers l’Amérique où ces esclaves sont revendus aux propriétaires des plantations sucrières. Ces navires repartent enfin vers l’Europe, les cales remplies d’aliments, de sucre et de rhum (qui servira e.a. à financer l’achat d’esclaves). Un développement agricole bâti dans le sang et qui jette le trouble sur un passé peu glorieux.
L’abolition de l’esclavage s’est élaborée en plusieurs phases et s’étale très lentement sur 2 siècles !! (19 et 20ème siècle).
La première concernant notre sujet, s’opère dans les colonies françaises fin du 18ème siècle (Saint-Domingue).
Si le sujet vous intéresse, développement de cet historique ici.

 

 

La production

 

Après avoir dépeint le côté historique de la canne à sucre, intéressons-nous à la l’élaboration proprement dite du rhum avec, comme première étape après la coupe, le broyage, l’élaboration du moût et sa mise en fermentation.
La récolte a lieu entre mars et juin correspondant à la saison sèche. Dans les champs, la coupe se fait toujours de la même façon. La tige est coupée à ras du sol. Le corps, séparé du plumet et des feuilles, est coupé en morceaux. Selon que la récolte est manuelle ou mécanisée, ces morceaux sont assemblés en fagots 10 par 10 ou transportés à l’usine en vrac. Sur le site d’exploitation, les cannes sont défibrées et passent au broyage pour l’extraction du jus.

 

 

Pour certains sites de production (datant de la première moitié du 20ème siècle) en autonomie énergétique, les moulins broyeurs sont actionnés par une machine à vapeur dont la chaudière est alimentée par la bagasse (voir photo ci-dessous). Une fois ce combustible consommé, il sert de compost végétal sur les champs.

 


Bagasse



C’est ici qu’il y a lieu de distinguer deux types de rhum:

  • Il y a le rhum agricole (le plus qualitatif) dont le distillat provient du vesou.

 

Le vesou est le nom donné au jus de canne à sucre écrasée

  • Il y a le tafia ou rhum dit industriel/traditionnel/de sucrerie dont le distillat provient de la mélasse de canne à sucre.

Mélasse

Donc pour faire simple: on récolte le sucre cristallisé par centrifugation, après quoi il reste la mélasse.
Cette mélasse contient encore près de 50% de la teneur en sucre de la canne, mais ces sucres ne sont tout simplement plus cristallisables.

 

La fermentation

 

Le moût, qu’il soit issu du vesou ou de la mélasse, est mis en fermentation. Ce moût est d’abord dilué, filtré et transféré dans de grandes cuves (généralement en inox) pouvant atteindre 30.000L.
Ce moût est ensemencé de levures (Schizosaccharomyces ou Saccharomyces). Sous le label AOC, seuls certains types de levures sont autorisées afin de donner naissance à des eaux-de-vie plus riches en arômes.

Peut débuter dès lors le travail de transformation du sucre en alcool par l’action de ces levures. Ce travail s’effectue à l’air libre (la salle de fermentation étant juste couverte d’un toit, dépourvue de murs) et se voit gratifié de façon non-quantifiable de l’actions des levures indigènes locales (comme pour les Lambic, si on veut faire le lien comparatif avec le brassin bruxellois).

Moût de vesou en fermentation.

image: voyagesaventures.com

 

La durée de cette fermentation peut varier de quelques jours à 2 semaines pour le rhum de mélasse ou appelé également rhum « grand-arôme ». Pour l’AOC Rhum agricole, ce temps de fermentation est fixé à maximum 120h (5 jours).
Les éléments aromatiques (donc non-alcool) se concentrent dans ce moût en fermentation. Ils sont exprimés en gr/hl d’alcool pur. Un rhum agricole en contiendra environ 350 gr/hl, un rhum grand-arôme ou de mélasse en affichera 800 voire davantage.
A l’issue du processus de fermentation, le « vin » de vesou titrera un volume d’alcool de 4 à 7,5 %.
Le « vin » de mélasse quant à lui verra son titre d’alcoométrie monter de 8 à 10 %.
Cette étape terminée, ce « vin » est distillé, et là aussi, il faut distinguer plusieurs principes ou méthodes.

La distillation

 

Le principe de la distillation est simple et est commun à la production de toutes les eaux-de-vie. L’eau pure en ébullition s’évapore à 100°C, l’alcool à 78,4°C. Il « suffit » donc de se situer entre les deux pour évaporer davantage d’alcool que d’eau. L’alcool retrouve son état liquide après condensation. C’est donc un procédé de concentration.
Le produit de cette distillation est simplement nommé le distillat.
L’histoire de la distillation débute dans l’antiquité, en Mésopotamie.
L’alcool produit à l’époque avait une finalité thérapeutique/médicinale mais servait aussi à l’élaboration de baumes et de parfums. Les plus anciennes traces d’alambic remontent à 3500 avant JC en Irak. Le nom “alambic” est dérivé de l’arabe al’ inbic, lui-même dérivé du bas-grec “ambix“, le vase. Mais revenons à la production du rhum…

A l’origine, le rhum était distillé par le seul type d’alambic connu depuis le 16ème siècle : l’alambic à repasse.

 

 

Il nécessite une double chauffe. La première (chauffage du moût fermenté) permet d’obtenir un alcool léger (entre 25 et 30%) qui va être ensuite soumis à une deuxième chauffe. On obtient alors une eau-de-vie titrant 70% d’alcool, dont on ne garde que la partie centrale (le cœur = l’éthanol recherché), en éliminant les têtes de coulée et les queues (les « fusel oils » où quand la température dépasse environ 94°C. Ce n’est ni toxique, ni dangereux, ça a simplement une odeur et un goût très mauvais).

Au 19ème siècle (1830), apparait l’alambic à colonne. Le voici illustré comme il est utilisé pour l’élaboration de l’Armagnac, du Calvados ou du Whisky.

 

 

Le voici photographié comme il est exploité par les producteurs de Rhum, avec ses différents plateaux (entre 15 à 20) qui transforment les vapeurs du moût en eau-de-vie. Les producteurs de rhum, à la différence de ceux de cognac, de calvados ou de malt d’Ecosse, ont rapidement adopté le processus en continu (voir schéma ci-dessous).

 

 

Il existe de nombreuses variations et perfectionnements d’alambic à colonnes: cheminement de la vapeur en zigzag (colonne Savalle) ou les plateaux en forme de cloche (Colonne Barbet), ou encore de type Créole…
Dans la colonne, équipée de plateaux (ci-dessous), les évaporations des substances volatiles se font par barbotage.

 

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Les plateaux sont des plaques métalliques perforées avec des rebords autour des trous. La phase liquide qui les remplit est alimentée par gravité : vin en partie épuisement, rétrogradation (pseudo-rhum) en partie concentration. Une fois la couche due au rebord dépassée, il y a, par trop plein descente dans le plateau inférieur. La phase vapeur suit le chemin inverse. Elle est lâchée avec une légère pression en bas de colonne, elle va amener la température (pour être entre 78,4 et 100°C) et le flux vertical. Elle prend le chemin le plus court et donc les trous de plateaux. Là elle rencontre des cloches ou des tunnels qui l’empêchent de continuer verticalement et qui rabattent la vapeur dans la couche de liquide créé par le rebord : c’est le barbotage où toute substance plus volatile et plus soluble dans l’éthanol que l’eau va être extraite.

 

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Les ingénieurs ont aussi et surtout pensé à multiplier le nombre de colonnes (3 voire plus nombreuses). Toutes ces techniques influent sur la qualité (quantité d’élément aromatique ou non-alcool) et bien sûr, titre d’alcoométrie final, pouvant atteindre jusqu’à 95%. Le rhum obtenu est bien sûr un rhum blanc, stocké et brassé pendant 3 mois dans des cuves inox afin d’éliminer les derniers éléments volatiles indésirables.
Certains rhumiers, peu scrupuleux, rejetaient jadis la vinasse dans la nature, causant de gros dégâts à la faune et la flore. Celle-ci est désormais recyclée et filtrée dans des bassins de traitement.

 

 

Son titre d’alcoométrie final sera réduit entre 40 et 55% par ajout d’eau pure (déchlorée et désalinisée).
Le rhum blanc, qui n’est pas destiné à subir un temps d’élevage sous bois, peut dès lors être mis en bouteille.

 

L’élevage

 

La mise sous bois ou période d’élevage ne concerne qu’une petite partie de la production. L’essence de bois la plus largement répandue est le chêne, la plupart du temps d’origine américaine (moins onéreuse), parfois française.
Ce vieillissement sous bois peut se faire dans des contenants de différentes tailles, du petit tonneaux aux foudres (de 30 à 300 hl !) en passant par des fûts classiques de moins de 300L.

 

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C’est bien sûr ce contact avec le bois qui va donner au rhum sa couleur ambrée et transformer son profil aromatique.
Le bois étant une matière poreuse, cette micro-oxygénation et phénomène d’estérification (réaction chimique entre les acides gras du bois et l’alcool), confèrent au rhum des arômes complémentaires aux arômes primaires (arômes variétaux de la canne à sucre) et aux arômes issus de la fermentation.
Les échanges entre le rhum et le bois vont varier selon le titre d’alcoométrie. Raison pour laquelle, le rhum est coupé avant cette période d’élevage afin de ne pas agresser le bois.
Dans l’inconscient collectif, plus un rhum est sombre, plus il est vieux et meilleur il est. Attention… piège…
Le « marketing » du monde du rhum de mélasse (notamment de type espagnol ou plus rarement anglais) l’a bien compris. Certains rhums sont donc parfois simplement teintés par adjonction de caramel.
Cette opération vise à l’adoucir (le rendre plus sucré), à apporter des notes empyreumatiques mais fait également évoluer sa couleur.
Avant de mettre un rhum sous bois, il y a lieu de distinguer si ce fût est neuf ou s’il a déjà servi.
On peut l’utiliser neuf pour extraire un maximum de propriétés boisées. Le plus souvent, on procède au bousinage du fût avant de le refermer. Ce traitement de préparation favorise les échanges entre le bois et le rhum (ou autre contenu), développe ou au contraire empêche certains arômes et apporte au contenant une enceinte de charbon actif qui permet de filtrer certaines substances (le souffre par exemple).
Un brûlage léger permettra un apport de notes d’épices.
A l’inverse, un fût carbonisé de façon soutenue apportera un profil caramélisé, de torréfaction.
L’intensité de cette chauffe influencera aussi la couleur plus ou moins foncée du rhum.

 

Lorsque le bois est chauffé, les fibres « éclatent » et libèrent leurs substances (congénères aromatiques)

 

 

D’une manière globale, le vieillissement en fût permet d’opérer sur le rhum des effets :
– soustractifs (rondeur)
– additifs (tannins et composés phénolique)
– interactif (avec le milieu ambiant par exemple les arômes tropicaux ou le sel marin)
Le choix du fût utilisé pour le vieillissement est primordial car il influence grandement le profil aromatique du produit final. Il s’effectue la plupart du temps dans des foudres de 600 litres ou dans des fûts dont la taille diffère selon la finition souhaitée.

 

Maison du Rhum, Pa

180L pour des fûts de Bourbon
225L pour des fûts de vins bordelais (ex.: Renegade de Murray Mc David)
228L pour des fûts de Bourgogne (ex.: Rivière du Mât)
320L pour des fûts de certains whisky (ex.: Islay pour le rhum de St-Etienne)
350L pour des fûts de Cognac (ex.: Savanna)
480 à 520L pour des fûts qui ont vu vieillir du Sherry/Xéres (ex.: Angostura)
522L pour un pipe de Porto (ex.: Rhum St-Lucia) …etc

 

Cette « mode » de finition d’élevage, comme on la connait pour le whisky single malt écossais, donne naissance à un trafic commercial conséquent mais permet une récupération des fûts pour lesquels la première mission impose l’usage du fût neuf (le Bourbon est le meilleur exemple).
La durée de l’élevage dépendra de la finalité souhaitée mais aussi (et c’est un critère non-négligeable), de la zone de production. En effet, selon que ce vieillissement s’effectue sous climat tempéré ou tropical, la « part des anges » sera plus ou moins importante: 1 à 2% sous latitude tempérée contre 8 à 10% sous climat chaud et humide.
Comme pour le vin (mutés ou pas), on pratique le ouillage.

 

 

 

A noter que les rhums « vieux » sont souvent le fruit d’assemblage de plusieurs fûts, pouvant bénéficier de temps d’élevage différents. Dans ce cas, la législation impose que la mention sur l’étiquette corresponde au cru le plus jeune de tous.

 

Les arômes du rhum

 

 

Pour ce qui nous occupe ici, si la notion de terroir est toute relative (même pour les rhums agricoles en AOC), on observe 3 grandes tendances ou familles aromatiques associées aux pays producteurs.

 

 

Le style français: le rhum agricole des Antilles françaises se caractérise par des eaux-de-vie fines et complexes, florales et fruitées avec un nez caractéristique de canne à sucre.
Le style anglais: ce sont des rhums dits “lourds”, avec un profil épicé et une texture plus grasse, souvent le résultat d’une double distillation.
Le style espagnol (cubain ou latin): rhums légers, au profil aromatique moins marqué, voire neutre qui sont plus destinés aux cocktails.
Il va de soi que toutes généralités intègrent des exceptions ou variantes. Cette pseudo-classification n’étant qu’un point de départ et une approche empirique de l’immense diversité de l’univers Rhum.

Le nez

 

 

La bouche

 

http://www.laboutiquecaviste.cafecaumartin.com/

 

L’AOC Martinique

 

 

Si on peut produire partout du rhum agricole (selon la méthode décrite supra), seule l’île de la Martinique (département insulaire français) bénéficie du fait de pouvoir labelliser sa production.
En matière de rhum, l’unique Appellation d’Origine Contrôlée, visant à protéger le consommateur en lui assurant un produit répondant à un cahier de charge stricte de fabrication, est l’AOC Martinique.
Cette singularité mérite bien un petit chapitre…
Cette AOC Martinique (créé le 5 novembre 1996), dépend bien entendu de l’INAO (organisme français créé en 1935) et est la seule Appellation d’Origine Contrôlée accordée en dehors de la métropole.
Voici la carte des distilleries, rhumeries et habitations qui produisent sous ce label (en espérant qu’elle soit à jour).

 

L’objectif n’est pas de faire le tour en détails de toutes ces implantations (on y reviendra distinctement ultérieurement).
L’AOC définit principalement 3 familles de rhum, tous issus de la distillation de vesou. Aucun rhum de mélasse ne peut prétendre à ce label.

  1. Le rhum blanc agricole. Il représente entre 80 et 85% du volume de production, est sans coloration. Ce sont des distillats qui patientent au minimum 8 semaines en cuve inox avant de pouvoir être embouteillés.
    Le titre d’alcoométrie peut être de 40, 50, 55, 62 ou 70%

  2. Le rhum agricole ambré (élevé sous bois). Cela concerne environ 8% du volume. Ce rhum est élevé au minimum 12 mois en fût ou foudre de chêne.

  3. Le vieux rhum agricole. L’élevage de 3 ans minimum en fût de chêne ET la mise en bouteille doivent s’opérer sur place.
    Différentes mentions relatives à des temps d’élevage sont autorisées (voir plus haut). Les crus millésimés doivent patienter sous bois pendant minimum 6 ans dans un fût d’une contenance inférieure à 650L.

De façon non-exhaustive, parmi les critères imposés par le cahier de charge de l’AOC Rhum agricole, citons aussi notamment:

  • Titre alcoométrique volumique minimum de 40%

  • Conditions de zone géographique. La production, récolte, transformation, distillation, élevage et conditionnement doivent s’opérer sur place (le cahier de charge publié au BO Agri du 19/2 2015 liste alors 34 noms de communes dont par exemple Le François).

  • Les variétés de canne à sucres appartiennent aux espèces Saccharum officinarum et Saccharum spontaneum ou issus de leur hybridation.

  • Culture. Interdiction des substances favorisant la maturation des cannes.

    Irrigation interdite entre le 1er décembre et la date de coupe.

  • Récolte. Période de coupe définie entre le 1er janvier et 31 août.

  • Analytique. Richesse en sucre supérieure ou égale à 14 °Brix

    pH > 4,7

    Ces valeurs se mesurent sur une moyenne de chargement de la journée et par parcelle.

  • Rendement. Max. 120 T/ha

  • Extraction. Pression exercée à froid. Imbibition permise à température ambiante et exclusivement à partir d’eau ou jus des derniers moulins.

  • Fermentation. Continue, cuve ouverte, matériau inerte de max. 500L

    Enrichissement en sucre (sirop ou mélasse) interdit.

    Durée max. 120h (5 jours). Le titre alcoométrique volumique obtenu ne peut être supérieur à 7,5%

  • Distillation. Doit s’opérer entre le 2 janvier et 5 septembre.

    Alambic à colonne multi-étages avec reflux, zone d’épuisement, zone de concentration, etc…

    65% < Titre alcoométrique volumique obtenu < 75%

  • Elevage & Finition. Voir tableau pour les durées. Obscuration < 2%

  • etc….

 

La Guadeloupe

 

Si seule la Martinique peut prétendre à valoriser sa production de rhum par le biais d’une AOC, l’île de la Guadeloupe, autre région d’Outre-mer, produit également du rhum agricole mondialement réputé. Huit distilleries y sont installées. 5 sur l’île principale (Grande-Terre & Basse-Terre), 3 sur l’île de Marie-Galante.

 

 

La Polynésie française

 

La culture de la canne à sucre en Polynésie française (archipel de 118 îles situées dans le sud de l’Océan Pacifique) est ancestrale et antérieure à la colonisation européenne. La canne à sucre O’Tahiti, variété indigène découverte avec l’île en 1521, très prisée des cultivateurs, a d’ailleurs été exportée vers les Antilles. C’est la variété la plus cultivée jusqu’au 19ème siècle dans les territoires coloniaux français et britanniques (à climat compatible).
En 1850, cette variété de canne a été substituée par des cultivars étrangers. Au coeur de cette culture endémique, faisant acte d’une production de rhum de mélasse sans intérêt, on observe l’émergence de 3 producteurs, revenus à produire du rhum agricole de qualité. Voici ces 3 rhumiers sur la carte.



 

La Guyane

 

En Amérique du Sud, la canne à sucre est cultivée depuis des siècles. Au début du 20ème siècle, la Guyane comptait une vingtaine de distilleries. Au nord de la Guyane, il y a lieu d’épingler la rhumerie Saint-Maurice, seule à produire du rhume agricole en indication géographique « Rhum agricole de Guyane » selon le cahier des charges établi par l’arrêté du 22 janvier 2015.



À ce jour, la distillerie Saint-Maurice (rhum Toucan), est la dernière en activité sur le territoire de la Guyane française.
Au plus proche de l’équateur, elle bénéficie d’un ensoleillement optimal et d’un taux d’humidité idéal à la culture de la canne à sucre. Propriété d’Ernest Prévot (successeur de Georges Prévot – Rhum Rorota, 1935) et de son épouse Catherine Arnold, cette distillerie gère donc ses plantations de cannes à sucre et produit une eau-de-vie en tous points conforme à la stricte règlementation qui cadre la production de rhum agricole (tant sur le plan des qualités organoleptiques que du processus global de fabrication).
Fin 2014, le couple décide de rapatrier vers la métropole une partie de la chaine de production. Si l’élaboration du rhum agricole se poursuit en Guyane, le coupage à l’eau, la macération éventuelle, l’affinage et l’embouteillage se font désormais à Toulouse, faisant de ce rhum le seul rhum « guyano-métropolitain ».

 

Catherine Arnold, photo La Depeche.fr

 

Rhum arrangé

 

Le terme « arrangé » désigne le produit issus de la macération de fruits, d’épices ou de plantes dans le rhum (qu’il soit blanc ou brun). Effet de mode ou pas, les rhums arrangés surgissent de tous les coins de bars (quand ils sont ouverts…) et ravissent les papilles en quête d’exotisme, de douceur et d’évasion. On trouve désormais un large choix de ce type de breuvage. Leur qualité dépend, outre de celle du rhum original, de l’équilibre entre les arômes variétaux (canne à sucre) et les arômes additionnels de macération tout en conservant également un équilibre entre la fraîcheur et l’alcool.
Epinglons à ce sujet la création d’un mixologue belge (bruxellois), Fabian Pierre qui propose ici un rhum arrangé aux fruits exotiques: Le Passionné.

 

Elaborées en Bretagne (à Rennes), Sylvain Delanoë propose une très belle gamme de recettes gourmandes faites à partir de rhum de Martinique, macération de fruits frais sélectionnés, soigneusement épluchés et Sirop de sucre de canne maison !

 

 

Cocktails & Mixologie

 

Enfin, comment ne pas évoquer, dans le secteur de la mixologie, la quantité innombrable de cocktails dont le rhum est source d’inspiration. Le plus connu étant sans conteste: le MOJITO !