Les vins du Liban sont indissociables de l’histoire de la vigne et de sa domestication par l’Homme.

C’est donc naturellement qu’une présentation des vins du Liban s’accompagne d’un petit rappel historique.

La littérature biblique fait de Noé le premier vigneron (après l’épisode du déluge). Voici donc un premier élément de réflexion retraçant, sur la ligne du temps, la belle histoire de l’Homme et de la vigne…

Noé… premier vigneron ?

Noé planta une vigne. Selon Rachi*: « Satan vint à sa rencontre et lui proposa de s’associer avec lui dans sa culture. Noé accepta. Que fit Satan ? Il prit un mouton et l’égorgea sur la vigne ; puis il prit un lion et l’égorgea, puis un porc. Et du sang des animaux fut abreuvée la terre du vignoble. Et le jour même où la vigne fut plantée, elle fleurit et porta ses fruits ; ce même jour. Noé cueillit les raisins, et en pressa et en but. Et pourquoi Satan avait-il agit ainsi ? C’est parce qu’un homme lorsqu’il boit un verre de vin reste doux comme un mouton ; lorsqu’il en boit deux, il devient fort comme un lion qui croit que personne l’égale ; mais lorsqu’il en boit trois ou quatre, il devient comme un porc qui souille ses vêtements et se roule dans la frange. »

*Rabin du moyen-âge (1040-1105, Troyes)
Extrait du site www.le-carrefour-de-lislam.com/

Généralités (situation actuelle)

Pays du Proche-Orient situé en bord de mer Méditerranée. Frontière avec la Syrie et Israël.

Environ 6 millions d’habitants pour 10.452 km2.

Capitale: Beyrouth.

Langue: arabe (et français)

Régime confessionnaliste: Chrétiens et musulmans représentés proportionnellement

Contexte géologique

Sol sablonneux en zone côtière.
Massif calcaire, gréseux et argilo-gréseux pour le Mont-Liban et Anti-Liban.
Argilo-calcaire, pauvre en humus et matière organique dans la plaine de la Bekaa.

Contexte climatique

Climat méditerranéen à tendance océanique l’hiver et climat subtropical l’été. Influence maritime au niveau de la côte. Le vent d’ouest apporte de l’air chaud et humide. Passage rapide au climat continental au niveau de la plaine de la Bekaa. Saison sèche de fin avril à début octobre.
Plaine sud de la Bekaa: hiver humide, été chaud et sec mais avec des nuits relativement fraîches.

Plaine nord de la Bekaa: semi-désertique, vent fort et peu de précipitations (besoin d’irrigation).

Contexte agro-économique

Deux filières viticoles:

La viticulture représente 4,5% de la culture fruitière du pays.

14.000 ha* de vignes sur les 320.000 ha de surface agricole utile.

Le raisin de table (11.100 ha)

La culture de la vigne est une tradition historique et familiale

Le raisin de cuve (2.900 ha)

1. Le vin
    35% > exportation
2. L’arak (boisson anisée à
    base d’alcool vinique)

 

Conditions favorables à la viticultureues

Conditions pédologiques

Sols et reliefs intéressants pour la vigne: coteaux (minéralité et irrigation) et plaine fertile (réserve d’eau en plaine).

Conditions climatiques

Pendant la période végétative de la vigne, le climat est chaud et sec / nuits fraîches. Pas de mildiou ni botrytis sur une grande partie du vignoble.
Climat peu favorable par contre pour les cépages septentrionaux.

Conditions parasitaires

Faible pression fongique (oïdium). Favorable à la culture bio.
Porte greffe cependant indispensable (phylloxera & blocage de maturité).

Tous ces éléments confèrent au vignoble libanais un haut potentiel œnologique.

Le raisin de table

11.000 ha de vignes plantées pour le raisin de table dont 60% dans la plaine de la Bekaa.
Rendement supérieur en plaine grâce à ses réserves d’eau (sol argileux).

Deux cépages principaux:
– Tfeifihi

– Beïtamouné (surnommé le dattier de Beyrouth)

Rendement: 12 à 18 T/ha

Le raisin de cuve

2900 ha recensés en 2005 selon l’OIV.

Rendement moyen: 12 T/ha

78% pour l’ARAK
Boisson anisée sur base d’alcool vinique

22% pour le VIN, la production libanaise se répartit  à 68 % Rouge, 17 % Blanc, 14 % Rosé (+1 % moelleux et mousseux).

Les cépages de cuve (vin)

L’Arak

Eau de vie (de vin) anisée traditionnellement consommée dans le croissant fertile (Liban, Syrie, Jordanie, Israël).

Procédé: moût de raisin fermenté et distillé deux fois auquel on ajoute des graines d’anis vert.

Redistillé (une ou deux fois) pour concentrer les arômes.
Elevage traditionnel en jarres d’argile.

Se boit à l’apéro ou pendant le repas (allongé d’eau et sur glace) ou en digestif (sec).

Cépages entrant dans sa composition: principalement l’Obeïdi (cultivé au départ pour le vin de messe) mais également le Cinsault, dans certaines caves.
L’Arak est actuellement concurrencé par l’arrivée sur le marché d’autres boissons alcoolisées (bière, whisky, …) et par la filière industrielle et frauduleuse (fabrication à base d’alcool non vinique).

 

Les régions viticoles & CAZA

Pas vraiment d’AOC mais une petite cinquantaine de producteurs répartis sur 5 régions, sous-divisées en  « caza » (canton).

 

Liban Nord (633 ha – 8 caves)*

Mont Liban (256 ha – 11 caves)*

Békaa (4439 ha – 57% – 17 caves)*

Caza de Baalbek (2278 km2)
Caza de Hermel (731 km2)
Caza de Zahlé (418 km2)
Caza Bekaa Ouest (470 km2)
Caza de Rachaya (542 km2)

Nabatiyé & Sud

Environ 50 ha

Conduite du vignoble (raisin de table)

Le raisin de table est produit principalement à partir de vignes conduites en « pergola ».


Avantages: protection du soleil, aération, vendange facile.

Densité de plantation:
650 à 680 pieds/ha.

Taille longue (50 bourgeons/plant).

Conduite du vignoble (Obeïdi)

Le cépage Obeïdi ayant pour finalité la production de l’Arak est cultivé traditionnellement en mode de conduite rampante ou dite « en éventail ».

Utilisé en coteau pour protéger la vigne du vent (et de la neige).

Rameau surélevé par un pied en bois pendant la période végétative.

Longueur du tronc d’environ 1m.

Fragilité au porte-greffon et plus de main d’œuvre au moment du labour.

Conduite du vignoble (raisin du cuve)

Que ce soit en plaine ou en coteau/terrasse, la conduite des plants de vignes est répartie selon deux modes:

  1. Gobelet (60%)
    Moins onéreux, résistant à la neige.

  2. Palissage et taille Guyot (40%)
    Meilleure résistance au vent, efficacité des traitements phytosanitaires, permet la mécanisation des vendanges et donc diminution des coûts de production.
    Investissements plus importants au départ.

La taille en gobelet est en déclin depuis la restructuration du vignoble (début des années 2000).

La liberté viticole

Au Liban, pas de cahier des charges à respecter, totale liberté dans le choix des cépages. Nombre de producteurs ne produisent pas leur raisin. Ils l’achètent sans pour autant le mentionner sur l’étiquette. L’irrigation est généralisée (mais il faut forer de plus en plus profond pour trouver l’eau). Pas de système d’appellation et pourtant tous l’attendent. Il est donc possible au Liban aujourd’hui d’expérimenter, d’innover sans contrainte en donnant une véritable identité à ses vins. Le tout est alors de savoir gérer au mieux le stress hydrique, éviter les blocages de maturité et agir pour avoir un équilibre acidité/sucre satisfaisant. Dans cette région, il est courant qu’il pleuve et neige de mi-novembre à début avril suivi de 6 longs mois de sécheresse. S’attendre également à un climat extrême.

Statistiques

Il n’est pas chose aisée d’avoir un recoupement fiable au niveau des statistiques de la filière viticole libanaise.
Voici donc, selon l’OIV, les tendances de production/exportation/consommation du vin au Liban:


Sur les schémas ci-dessus, on observe clairement que malgré ce que certaines presses semblent vouloir indiquer, la croissance n’est pas si nette. En terme de surface viticole, toujours selon l’OIV, c’est même plutôt un tassement qu’il faut observer.
Certes le volume de vin exporté a sensiblement augmenté ces vingt dernières années, mais proportionnellement, le Liban est un pays qui consomme une très grosse partie du vin qu’il produit.

Le berceau viticole mondial

Si la civilisation romaine a largement contribué à l’expansion du vignoble, il est désormais reconnu et prouvé scientifiquement que l’origine de la viticulture réside dans ce croissant fertile du Proche-Orient.

Retraçons, en quelques étapes, 7500 ans de domestication de la vigne…

La vigne est un arbuste, un végétal traçant qui deviendrait liane si elle n’était pas taillée par les mains de l’Homme.
Mais quels sont ces éléments qui permettent la traçabilité de la vigne et de sa domestication ?

  • Les textes bibliques (à relativiser)
  • Les traités d’agronomie et autres récits historiques

Mais pour remonter avant l’ère de l’écriture (3500 av. JC)…

  • Les études archéo-botaniques et carpologiques (étude génétique sur la morphologie des pépins de raisin dans ce cas)
  • L’archéologie moléculaire (fortement développée depuis la fin du XXème siècle)

L’archéologie

Les recherches archéologiques ont démontré que l’existence de cette espèce végétale à l’état sauvage remontait à plus de 60.000.000 d’années (site de Sézanne en Champagne).

  • Paléolithique: il y a 400.000 ans, traces que l’Homme consommait des baies de raisins (France, site d’Alma Ata près de Nice).
  • Néolithique: entre 8500 et 7000 av. JC, l’Homme se sédentarise, domestique animaux et végétaux, invente des outils de conservation (jarres).
  • 6000 av. JC, traces de pépins de raisins domestiqués (structure du pépin plus allongée) en Géorgie et au Daghestan.

L’archéologie moléculaire

  • 5400 à 5000 av. JC, au sud d’Urmia et à Zagros (Iran), 6 jarres sont retrouvées avec des traces d’acide tartrique, de tartre de calcium et de résine de térébinthe (additif bactéricide améliorant la conservation du vin). Ces traces spécifiques sont les preuves de la présence de vin et du savoir faire de l’Homme !
  • 4100 av. JC, Areni (Arménie), trace d’un pressoir, de cuve en argile et d’éléments mobiliers ayant eu contact avec le vin.
  • 3500 av. JC, début de l’écriture

En résumé, la vinification est un procédé, né il y a 7500 ans dans le croissant fertile, zone allant du Liban actuel à l’Iran en passant par la Turquie.

Bacchus…

Baalbek se situe en zone semi-désertique dans le nord de la plaine de la Bekaa. Cette ville antique, ancienne Héliopolis des Romains (et actuellement en territoire Hezbollah) est composée de ruines gréco-romaines (temples de Bacchus, Jupiter & Vénus). Le temple de Bacchus fut construit au IIème siècle. Les éléments liés à la vigne ayant été retrouvés sur le site, il est devenu d’usage de l’appeler du nom du dieu romain de la vigne et du vin.

Liban, les temps modernes

  • Au moyen-âge, les marchands vénitiens poursuivent la commercialisation du vin libanais et propagent sa réputation.
  • En 1517, le territoire du Liban est absorbé par l’Empire Ottoman. La vinification est interdite (sauf à des fins religieuses), beaucoup de vignes sont arrachées.
  • En France, milieu du XIXème siècle, Louis Pasteur explique le phénomène de la fermentation. Dans ce même temps, en 1857, les Jésuites arrivent à Baal en mission pastorale, plantent massivement des vignes et lèvent les interdits de la domination ottomane.
  • A la fin du XIXème siècle, certains grands noms du Vin français comme le Baron Edmond de Rothschild apportent leur concours à la phase d’industrialisation du secteur vinicole. Les micros-exploitations deviennent de plus grands domaines.
  • 1920: A la fin de la première guerre mondiale, création du Grand-Liban, république sous protectorat français jusqu’en 1943 (année de l’indépendance).
  • 1975-1990: guerre civile. Le Liban déplore 150.000 décès et exilés. Ralentissement de l’évolution du vignoble et des méthodes de vinification.
  • 1990, le vignoble représente environ 1000 ha pour au moins 4 domaines.

Depuis, le Liban vit une restructuration territoriale sans précédent. Augmentation considérable du nombre de caves et de parcelles. Le pays compte désormais une quarantaine de producteurs.
Evolution des cépages locaux traditionnels vers les cépages « nobles » d’Europe (Cabernets, Chardonnay, Syrah, Grenache…).

Quelques info relatives aux domaines réputés

Sources bibliographiques

  • Jean-Pierre BEL, Vignes et vins du Liban, 4000 ans de succès, BoD 2014
  • Jean-Pierre BEL, Les paysages viticoles de la Bekaa, BoD 2009
  • La filière viticole au Liban, ENITA de Bordeaux, 2003
  • Wikipedia.org
  • Figaro.fr
  • David Cobbold, Blog « les 5 du vin », Les vins du Liban, 2/11/2015
  • Documentation fournie par les producteurs
    (Ksara, Kefraya, Domaine des Tourelles, Ixsir).